#4 – Février / February 2022

Antonio Rodriguez

Tout, au monde, existe pour aboutir à un réseau

Le dispositif lyrique

Le livre lyrique, quelle que soit sa puissance ou son originalité, ne constitue plus aujourd’hui à lui seul l’événement ; ni même les autres objets, comme les interventions de poètes donnant de la voix fortement, sur scène ou en ligne, et quelques cinépoèmes un peu partout. Le livre lyrique et sa lecture silencieuse — relation sacrée au xxe siècle — parviennent à la limite d’un empire mécanique et industriel, minutieusement décrit par Mallarmé, que nul autre n’a d’ailleurs mieux agencé pour la poésie. Le réseau mécanique de la matière, capté par cet auteur pour y distinguer l’art poétique, à part et au sommet, répondait à celui des institutions démocratiques occidentales, qui s’étendaient, par l’industrie de l’esprit et la colonisation, sur le monde entier. Ravages nombreux, saluts parfois, au nom du progrès. Aujourd’hui, le livre, concentré dans sa distribution pyramidale (des capitales éditoriales aux périphéries rurales), abreuvé pendant des décennies des ressources du globe (colles, pâtes à papier, reliures, encres, presses, imprimantes aussi bien qu’auteurs provenant de la diversité du monde) demande une recomposition numérique, poétique et lyrique.

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La matière organisée d’une époque existe pour aboutir poétiquement à un horizon. Pour Mallarmé, c’était le livre ; mais, pour nous, aujourd’hui, il se présente comme l’indéfini, toujours pris entre les brouillards du nihilisme et les frimas de l’anéantissement. Cet horizon se bâtit en imagerie qui, surmontant la multiplicité artistique par les forces rassemblées du langage, esquisse un monument. Le voyez-vous ? « Monument » ne signifie pas « œuvre », ou « objet » tenté par les individus, mais ce qui conduit les créateurs qui jettent leurs énergies dans le vide à la conviction qu’un lien suprême s’échafaude par l’esprit de tous. L’envers de « tous » les actes poétiques, rassemblés et alignés, produit ici, si le dispositif devient opérant, un Acte, un peu magique, qui supplante le vide. L’envers du vide, en somme, le monument. « Dieu » jadis incarnait le monument invisible des grands livres. Ensuite, il y a eu la « civilisation », puis la « nation » produite par quelques « génies » ; et la « grandeur » toujours, nécessitant une genèse poétique. Ainsi s’élabore le rêve du « Livre ». Mais Mallarmé, plus que Ponge (pris par l’ingénierie personnelle du proverbe et la rhétorique de l’« objeu »), en est venu à un dispositif, non seulement comme horizon, mais comme réalisation sociale d’un programme. Orientation vers la constellation à partir du lieu commun, de l’expérience poétique, « le lieu » de la lecture. À quoi donc pourrions-nous rêver aujourd’hui par-delà le livre ? Comment délivrer encore les forces de lecture à notre époque et fonder poétiquement le lieu ?

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Nous ne martelons plus la poésie sur le fronton des temples, fussent-ils des panthéons démocratiques, fussent-ils des tours ; car la pierre, délaissée depuis longtemps, a cédé devant le verre et l’acier des grands édifices de la finance. Hugo écrivait dans Notre-Dame de Paris « le livre tuera l’édifice » — le papier et l’imprimé ont livré dès lors, par les rites de l’éducation, le sens de la vie, bien plus que les rites de la religion. Mais aujourd’hui, s’écriera-t-on « le numérique tuera le livre » ? Nous balbutions numériquement et, bien plus tard, l’on se moquera sans doute de nous, en admirant rarement les réalisations « primitives » qui auront été les nôtres. La fabrication des livres ne cessera guère, tout comme il est encore des gloires tirées des édifices, mais l’objet capable de tourner l’esprit vers un horizon, c’est-à-dire vers le rêve d’un monument, ne peut plus être cet ouvrage de papier.

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« Numérique » ne signifie pas forcément « mutation » : au début du siècle, la transposition du livre a été l’essentiel des actes littéraires mobilisés sur les écrans, comme d’autres (Gutenberg certainement) avaient d’abord voulu faire de l’impression une technologie proche des manuscrits enluminés. Pourtant, les conséquences des véritables changements, lorsqu’ils atteignent la racine, se déploient spirituellement. Rappelez-vous. À chaque changement de support est apparue une religion nouvelle, avec des déploiements inédits de l’« insaisissable » ou du « poétisable ». Le travail du stylet sur la pierre et les statues a amené les dieux hors des orages et du feu pour siéger dans les temples. La poésie était alors gravée sur les murs. Le papyrus a été pris dans le rouleau, pour comprendre le dieu caché, invisible, saisi par l’écriture, qui se matérialise dans la généalogie d’un peuple, lui-même fabricant du volumen. Le parchemin en codex a soufflé les quatre évangiles, tout comme le Coran pour la langue arabe. Ensuite, le papier, lui-même encré par l’imprimerie mécanique, tel un tissage de mots, a mené une diffusion massive, reproductible, jusqu’au lien individuel et direct par la lecture silencieuse, celui du protestantisme. Enfin Mallarmé, encore lui, a conçu pour la poésie son abri et un rayonnement poétique à partir de son horizon : « tout, au monde, existe pour aboutir à… », et ce fut, à la fin du xixe siècle, le livre.

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Existe-t-il aujourd’hui une conjonction qui surmonterait le livre, sa monumentale organisation, son réseau pyramidal et mécanique ? Le cortex du pouvoir, jadis, diffusait depuis sa capitale impériale les informations à l’ensemble du corps social dans le monde. L’esprit se répandait sous les roulements de la presse (acheminant les messages par bateaux, camions, tout moyen de livraison ; diffuseurs, libraires, critiques). À part et en blason, le livre de poèmes garantissait le luxe et la rareté d’un système voué avant tout aux masses, et s’endormant le soir par les récits ou les arguments dans les journaux, comme les plus petits à l’école. Le volume de poèmes, méticuleusement imprimé, avec des feuillets pliés, religieusement diffusé par les professeurs et les enseignants en démocratie, creusait par son art et sa réflexivité l’intimidant écart d’avec la lecture individuelle au sein de la « tribu ». En lui, le silence résonnait en « instrument spirituel », rythmique, analogique. Ce volume absorbait alors l’ensemble : la scène lyrique (les voix, la musique, la danse), le musée d’art (la peinture), l’académie (l’apprentissage de la lecture) ou encore la diplomatie (les langues mondiales). Mallarmé avait créé le dispositif absolu du livre, plus que le livre absolu lui-même, qui diffusait l’esprit par le geste poétique. Devons-nous alors rêver à un monument numérique pour la poésie, qui ne serait plus la simple transposition vers les supports actuels ?

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L’industrie du livre, toujours sise dans les capitales littéraires occidentales (New York, Londres, Paris, Francfort), s’auréole annuellement du prix Nobel, et se répartit entre elles les parts d’« universalité ». Dans ses innovations technologiques, elle s’est pourtant arrêtée en 2006. Comparée à l’industrie de la musique ou du cinéma, qui a souvent nourri les modèles quantitatifs, la fabrication du livre a maintenu le même objet, le « livre », fût-il de « poche », fût-il « numérique », toujours rapidement ficelé. Car le « livre numérique » n’apparaît plus qu’en succédané digital de la mise en page réalisée pour l’impression (EPUB ou eBook), au prix à peine réduit de l’objet imprimé. Défense et illustration du modèle : nous vivons encore en 2006, même au début des années 2020. Le « Walkman » avait évolué vers l’« iPod », et c’est comme si cet âge gouvernait encore la lecture littéraire. Ou alors, nous en sommes au DVD et au téléchargement en ligne. L’industrie du livre a tout fait pour éviter le streaming, parti de Suède avec Spotify. Encore beaucoup s’enorgueillissent de cette victoire de l’objet livre face aux sombres prédictions, même si l’organisateur en chef de la livraison, Amazon, remplit tous les jours les boîtes aux lettres de paquets souriants. La chaîne du livre est désormais démontée, sans que la fin du livre ait eu lieu. Soulagement peut-être. Pendant ce temps, les industries littéraires vivent de grands bouleversements tant par la diffusion que par des rassemblements financiers inédits.

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Le streaming ne portait pas en lui le « changement » attendu, mais une transformation des habitudes de consommation. Il porte encore d’autres modes de lecture. Les plateformes ont supplanté les chaînes de télévision, qui commandaient les produits filmés à diffuser. Le Netflix de la littérature ou le Spotify de la poésie portent-ils les mutations de l’esprit exigées par notre horizon ? Il en faudrait davantage, et même la réalité augmentée, la réalité virtuelle, l’intelligence artificielle ne sont que les adjuvants pour la réalisation d’un projet plus ample, à entrevoir. Tout cela, je le dis, non en vision, mais pour l’avoir expérimenté, et en avoir ressenti les forces, les limites, dans le miroir d’une constellation, l’exposition intitulée Code/Poésie (Digital Lyric) en 2020. Code/Poésie, était-ce le titre d’une exposition, ou une manière de disposer un programme ? Un programme non au sens informatique, mais au sens de jadis, comme le sommaire d’une revue

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La poésie n’a pas le choix, elle accélère toujours la trajectoire. Elle se déploie au cœur de la mutation, même si beaucoup, voire presque tous, peuvent écrire des poèmes. Cela ne change rien. « Lyrique » reste le moyen de rendre cet horizon au corps, à la sensibilité, à l’empathie. Chaque acte que la poésie avance sur les nouvelles technologies devrait absorber le livre, qui lui-même portait les fibres du parchemin, du papyrus, de la cire ou de la pierre. Chaque acte devrait sucer le sens des feuilles pour sortir l’esprit du codex et de sa diffusion mécanique en livre, puis l’amener à se comprendre en une nouvelle organisation.

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« Réseau ». L’esprit n’est plus le cortex, dans la mesure où le cerveau lui-même est désormais perçu comme un « réseau de neurones ». Les territoires nervurés par des réseaux de communication, des réseaux fluviaux, des réseaux de transport. Le numérique même apparaît comme un fonctionnement réticulaire et, populairement, l’organisation en vient aux réseaux sociaux. « Réseau » ouvert ici comme horizon, avec un infléchissement : le « réseau Poésie » en garantit la fondation.

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Aujourd’hui, la plupart des usagers asservissent encore leurs doigts à la grammaire du « scroll », du rouleau à dérouler numériquement. Est-ce vraiment la grammaire numérique de notre époque ou celle d’avant le livre qui reviendrait ? Quelle est la grammaire complexe, ne dépendant ni du rouleau ni du livre, qui nous fournirait la plus correcte des circonvolutions pour nous dévoiler ?

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Le besoin d’agir poétiquement reste vital, investit le papier et d’autres supports que le papier, où tout acte véritable devait auparavant aboutir. Moins que de ressasser la perte ou la crise provoquée par la mutation, toute poésie se comprend alors en « acte » lyrique par excellence, et non plus en « objet ». Selon quoi nous parvenons à la situer dans l’échelle de grandeur et l’organisation d’une époque. D’autres arts, plus déterminés économiquement, comme l’opéra, le cinéma, le théâtre ou le roman, n’y peuvent rien, et se soumettent aux lois du marché, tant que la poésie permet autre chose, autrement. Partout présente, et peut-être plus libre. Aussitôt des forces aident à mieux distribuer, comme un fleuve innerve une plaine sèche, bien loin de la simple transaction industrielle, la vieille pyramide. Crue du fleuve par les réseaux fluviaux. Les bassins versants des poèmes se déversent.

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Chez Mallarmé d’ailleurs, le Livre venait supplanter d’autres livres, telles la Bible ou la philosophie de Hegel, par les pouvoirs d’une haute réflexivité sur le langage. Mais qu’y a-t-il à supplanter aujourd’hui ? Dans quel lieu la poésie se ressource-t-elle ? Est-elle toujours dans la logique ou la philosophie, mêlées à la spiritualité ? Où a lieu l’événement poétique ? Comment s’agence l’architecture de nos énergies ? Dans quel environnement ?

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La pandémie de 2020 l’a confirmé. Le pouvoir (ce qui peut obliger à rester chez soi pendant des semaines) se fonde non plus sur la religion, la philosophie, mais sur l’expertise scientifique et technologique. Le monde est un grand laboratoire, et la poésie, au lieu de s’en extraire, devrait participer audit laboratoire. Non pour y mener une poésie scientifique de plus, mais pour innerver les lieux de la recherche, de la conservation et du patrimoine de son influx. Le réseau scientifique contient déjà en son sein une partie du nouveau dispositif lyrique. Rien de ce qui a lieu n’échappe à son attraction, qui condense et organise les actes. Certains continuent à y pratiquer la vieille histoire littéraire nationale, parfois appliquée à des régions, ou à des villes. Ils sont les têtes qui cachent la toile, et forment quelques noyaux de plus dans les rets.

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« Universel reportage » selon la formule de Mallarmé pour décrire son époque, et les pouvoirs de la presse. Mais aujourd’hui, l’universel reportage ne sert plus de monnaie, sauf pour quelques scandales sexuels entre adversaires politiques. Mallarmé s’inscrivait face à l’industrialisation de la presse. Narrer, enseigner, décrire, disait-il, étaient les verbes de l’échange : échange monétaire, échange scolaire. Aujourd’hui, nous les avons remplacés par l’« Universel Partage ». Conjonction d’intérêts et d’actions qui transforment le discours en « pièce de monnaie », utile, manipulable pour l’échange ; affaires à suivre. Tout doit devenir interchangeable. Individus, créations, tout sauf la poésie qui fait semblant de s’y prêter.

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Souvent, je me dis que nous devrions reprendre le geste de Mallarmé, relancer les dés de la poésie, autrement. Mais sans l’obscur et sans l’élitisme mis en place au xixe siècle. Plutôt avec le jeu de notre époque, l’universel partage, et le nouveau plateau du numérique.

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L’intimité est bien sortie de la chambre et du journal, patiemment rédigé. L’intimité était le Soi, ce qui importait le plus jadis, le plus profond. Mais l’économie a changé, et l’intimité est désormais le moyen d’interpeller ; chacun ayant accès à la publication. Que devient le poème ? Une texture infinie de ramifications. Se révèle alors une « cacophonie » (Antonin Artaud). Cet ensemble disharmonieux des ego ne possède guère de conscience de lui-même. Cacophonie des moi, cacophonie des rivalités de moi, cacophonie pour le nombre de vues sur le moi, cacophonie des followers du moi et cacophonie pour l’influence du moi.

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Nul n’est plus vraiment responsable dans le partage, tout agit en nombre, tout fuse en déversoir, en insultes, en accusations, en réactions, en fausses nouvelles, en rumeurs, en dénonciations. Bruit de fond, qui recouvre les non-vus, les peu-en-vue, ceux qui rêvent de devenir visibles.

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Les poètes se chargent désormais de leur promotion, et les boîtes s’agitent pour des invitations au dernier vernissage, au dernier spectacle. À défaut d’avoir vraiment prise sur l’outil, certains poètes l’utilisent pour le partage, d’autres le rejettent. Nouvelle Querelle des Anciens et des Modernes.

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Où est l’esprit aujourd’hui ? Plus dans la tête ni au sommet ; plus dans la distribution centralisée, comme l’était le cerveau jadis. L’image de l’intelligence a changé, et le cerveau est devenu le réseau. Un réseau dans le corps qui s’étend par les nerfs et les flux d’énergie. Le tout pris dans un souffle qui se projette dans une trajectoire.

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Le monument que nous esquissons ici n’existe pas, il n’est que l’horizon ; c’est-à-dire le dispositif. Car il ne ressemble plus à l’objet d’un auteur, ayant accompli pendant des décennies son grand Œuvre, par l’addition de ses livres ou de ses actes un jour par d’autres collectés. « Réseau » est le monument dont nous voyons la portée poétique. Ce mot ne signifie pas l’absence de réseaux auparavant, dès l’Antiquité, mais nul n’est vraiment comme le « réseau » de notre temps, son instrument spirituel.

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« Les merveilles nous imposent le devoir de ne pas laisser l’imagination et la subtilité poétique derrière celle des artisans qui améliorent une machine. »

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Par ma fenêtre, par mon écran, je vois un volume poétique prendre forme.

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Tout, au monde, existe pour aboutir à un réseau. Ainsi va l’esprit. L’Acte poétique se révèle dans le dispositif, et ce dispositif circule en réseau. Aussi, au lieu de dire « Publie », je chuchote « Dispose ». Dispose de ton environnement, dispose de la poésie dans ton environnement, dispose de ta vie poétiquement. Dispositifs de mots, dispositifs de gestes, dispositifs des actes, dispositifs des hommes qui lancent le grand filet du réseau Poésie sur l’esprit agile, et il s’envole.

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Le dispositif est un agencement. Il englobe les objets, les interventions, tout ce qui se fait « acte lyrique ». Mais il comprend également les institutions qui agissent et font agir à travers le mot « poésie ». Enfin, il comprend tous les acteurs, tous les rôles, toutes les machines et les machineries, qui usent de l’énergie lyrique. Architecture invisible veut dire « maillage ». L’horizon, portant l’Acte lui-même, est le dispositif lyrique qui rassemble les fragments, et les amène à un état plus ample que l’addition des actes.

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Le multimédia ne suffit plus à qualifier le dispositif lyrique, qui se rassemble numériquement, enraciné à la pierre et à la cire, puis qui se mobilise nouvellement. Le dispositif lyrique par excellence doit rendre chaque acte poétique tel le « fragment » d’une exécution globale, collective aussi bien qu’individuelle et locale ; transmédiale, aujourd’hui.

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Une crise de blanc a eu lieu dans le papier, dans les empilements de vers libres de plus en plus césurés, de mises en page minimalistes, à peine éprouvantes. Le pli du mystère n’agissant plus dans le feuillet, il nous faut d’autres « influx » — ceux des « ptyxels » peut-être. Surmonteront-ils le Styx des générations ? Car l’esprit passe ainsi désormais, et nos vies forment des membranes énergétiques semi-perméables. Les poètes offrent des « conducteurs », qui connectent les influx de toutes ces itinérances.

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Michel Foucault qualifie le dispositif ainsi : « Du dit aussi bien que du non-dit, voilà les éléments du dispositif. Le dispositif lui-même c’est le réseau qu’on établit entre ces éléments ». Il y voit le croisement entre pouvoir et savoir. Et si la poésie réalisait ce qu’elle savait ? Giorgio Agamben ajoute : « Tout ce qui a, d’une manière ou d’une autre, la capacité de capturer, d’orienter, de déterminer, d’intercepter, de modeler, de contrôler et d’assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants », y compris « le stylo, l’écriture, la littérature, la philosophie, l’agriculture, la cigarette, la navigation, les ordinateurs, les téléphones portables, et, pourquoi pas, le langage lui-même. » Le clavier, l’écran tactile, la vidéo, le son, le logiciel de montage participent à l’instrumentation du réseau Poésie, qui sait s’approprier et faire réfléchir les ressorts de l’ingénierie, comme jadis ceux tout-puissants de la logique. Nous nous tenons assez loin des « bricolages » et autres tentatives postmodernes.

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On me permettra enfin d’impersonnifier le programme, pour l’ériger en poésie. Même si j’écris encore parmi les brumes des feuillets japon, et si je participe aux offices de ma corporation, avec un langage propre à charmer les murs ou à garnir les rayons, je ne vois de lieu pour faire naître cet horizon qu’ici, depuis la vallée lyrique que j’admire par la fenêtre, qui concentre et relie incroyablement la poésie du monde entier. Ainsi, certainement, se présente un paysage originel, toujours comme un noyau de forces dans un environnement propice, dont les connexions étincelantes supplantent les plis jaunis des livres, et le battement aux tempes les dures reliures.